L’intérêt premier de l’utilisation des outils numériques dans le secteur associatif est de simplifier le quotidien pour permettre aux personnes de consacrer leur temps à leur mission sociale et à la cause qu’ils défendent. On peut alors juger paradoxal d’amener ces structures à utiliser d’autres outils que ceux qui sont les plus répandus et les plus populaires, ces derniers étant souvent utilisés dans le cadre privé. Ils donnent accès à des services clés en main, que chacun sait utiliser. Mais ils restent totalement opaques et l’on devient vite dépendant de solutions qui nous dépassent. Le Réseau Cocagne est convaincu qu’il est possible de faire du numérique autrement.
Une grande partie des logiciels utilisés au quotidien sont des logiciels dit « propriétaires », c’est-à-dire que seule la société en charge du développement dispose d’un accès au code source et décide des modifications possibles. Certains acteurs les qualifient de logiciels « privateurs ». C’est en comparaison à ce type de produits que se définissent les logiciels libres. Ces derniers offrent la possibilité de consulter ou modifier le code source, de copier le logiciel ou encore de le diffuser selon les conditions voulues (par exemple, gratuitement).
Les logiciels gratuits sont le plus souvent des versions allégées des logiciels propriétaires payants. Dans le modèle du libre, on ne va pas payer le logiciel en lui-même mais il faudra souvent prévoir un budget pour rémunérer les personnes compétentes qui pourront nous aider dans l’installation, la formation et la maintenance des outils. Choisir le numérique libre, c’est donc soutenir des modèles économiques vertueux. Chacun doit pouvoir trouver des solutions adaptées à son budget, tout en permettant aux prestataires sollicités de vivre de leur activité. Il faut aussi avoir conscience que le numérique est, et ne sera toujours, qu’un moyen. Il faut s’assurer que la solution technique soit toujours au service d’un besoin.
Le travail associatif nous oblige à une adaptation permanente. Au service de nos adhérents, nous ne pouvons prévoir l’évolution de leurs activités et de leurs priorités, qui sont elles-mêmes dépendantes de la réalité du terrain et des orientations politiques successives. Nous devons donc utiliser des outils qui nous laissent la possibilité de prendre en compte ces évolutions avec agilité. Plutôt que de chercher des solutions « magiques » ou clés en main, nous savons qu’il nous faudra combiner plusieurs outils pour couvrir l’ensemble des attentes.
Le recours aux logiciels libres semble aller dans le sens voulu d’une réappropriation des outils mais n’a rien d’une solution évidente. La première difficulté à lever est celle de l’identification des outils disponibles. Les logiciels libres sont nombreux et il existe souvent plusieurs solutions pour répondre à des nécessités similaires. Il est bon de se rappeler que la fracture numérique se joue, au moins, à deux niveaux : celui de l’accès et celui de l’usage. Il est donc essentiel que les personnes maîtrisent les outils qu’elles utilisent au quotidien, qu’elles les comprennent et puissent éventuellement les remettre en cause s’ils ne sont pas ou plus adaptés à ce qu’elles souhaitent. Les communautés d’utilisateurs qui se construisent autour des logiciels libres sont un moyen évident de garantir un usage réel et optimisé des solutions techniques.
Les utilisateurs ont besoin d’être accompagnés pour ne pas subir des outils inappropriés. Ils doivent donc pouvoir faire appel à des expériences techniques pour les éclairer. Par chance, celles-ci sont nombreuses et des initiatives à destination spécifique des associations existent (ex : Emancip’asso lancé par Framasoft). La mise en place et le bon fonctionnement, sur le long terme, de solutions numériques passent nécessairement par un accompagnement technique. Les compétences informatiques étant rarement présentes dans les associations, le recours aux prestataires externes est fréquent. On trouve là une limite car ceux-ci n’auront jamais une vision complète et précise des besoins de la structure. Il est donc essentiel de développer, en complément, une compétence interne pour la définition des besoins et pour avoir une expertise des usages.
Le Réseau Cocagne a intégré progressivement des outils libres dans son système d’information pour son organisation quotidienne et l’accompagnement des Jardins de Cocagne. L’association utilise la messagerie électronique Bluemind, la solution de visio BigBlueButton, l’espace documentaire Nextcloud, l’outil de gestion (ERP) Dolibarr et la messagerie instantanée Mattermost. Ces outils ont l’avantage de bénéficier d’importantes communautés d’utilisateurs. Le Réseau Cocagne s’est appuyé pour ces projets sur ses adhérents qui utilisaient déjà ces outils. Il a donc été possible de se les approprier mais il ne faut pas négliger le temps nécessaire à cette montée en compétence. Le financement de ces apprentissages peut s’avérer difficile pour les associations. Là encore, la logique de coopération peut être une solution et amener à une mutualisation des moyens. C’est ce qu’entend faire le Réseau Cocagne avec ses adhérents.
L’évolution des modèles de commercialisation, au-delà de l’abonnement panier pour les particuliers, a amené les Jardins de Cocagne à devoir se doter d’outils numériques performants. La dynamique collective s’est rapidement imposée. En témoigne Manon Cartier de l’association Parenthèse : « Cela faisait des années que nous pensions qu’un site internet avec un compte adhérent pour s’inscrire, suivre et modifier soi-même son abonnement serait un vraiment plus. Nous avions essayé de creuser pour construire un outil à notre échelle mais cela demandait une implication très importante en termes de temps, de compétences et… financièrement aussi ! Lorsque le projet est né en 2018 au niveau du Réseau Cocagne, c’est naturellement que nous avons proposé d’y participer. »
L’idée était de partager une stratégie et de s’appuyer sur des solutions techniques évolutives. C’est pour répondre à ces objectifs, que la société coopérative d’intérêt collectif Jardin dOctets a vu le jour en 2019. Initiée avec 14 Jardins, 1 prestataire informatique et le Réseau Cocagne, cette organisation a été rejointe par une quarantaine de Jardins. Le logiciel mis en place est une évolution de solutions déjà expérimentées par la société informatique Dynapse auprès de producteurs locaux soucieux de vendre en circuit court. Des évolutions fonctionnelles sont réalisées en continu depuis quatre ans pour répondre aux besoins des Jardins.
Le succès de ce projet n’aurait pas été possible sans une implication forte du prestataire informatique, qui a accepté de construire pas à pas ce logiciel en étant à l’écoute des besoins des structures Cocagne. Le Réseau Cocagne a également pu s’appuyer sur des mécénats de compétence, qui ont apporté, à tour de rôle, leur expertise d’ingénieur informaticien. Depuis le début du projet, une dizaine de Jardins de Cocagne à l’aise avec l’outil se sont investis plus particulièrement pour assurer la fonction de « Jardin référent » sur le logiciel de gestion commerciale auprès des autres Jardins de la coopérative. Enfin, il faut noter que la mobilisation du fonds de développement pour l’inclusion exceptionnel, dans le cadre du plan France Relance, a été un important facteur d’accélération du déploiement du logiciel. 36 Jardins de Cocagne ont effectivement été soutenus sur ce volet, ce qui leur a permis de se lancer.
L’expérimentation menée par les Jardins et le Réseau Cocagne au cours des dernières années a posé les bases d’une coopération réelle. Une expertise collective s’acquiert progressivement autour de plusieurs outils numériques et les pratiques évoluent. Les Jardins de Cocagne deviennent ressources les uns pour les autres, en fonction des sujets sur lesquels ils sont le plus à l’aise (commercialisation, suivi des salariés en parcours ou planification de la production maraîchère).
Au niveau national, il reste pour le Réseau Cocagne à s’emparer des enjeux numériques en construisant des objectifs stratégiques communs. L’enjeu est d’arriver à passer d’une logique de projets techniques spécifiques à une approche globale du numérique, appliquée à l’ensemble des activités de nos associations. Le groupe de travail autour de l’économie numérique mis en place à la demande du conseil d’administration depuis 2022 doit permettre d’aller dans ce sens.
Il faut enfin se rappeler l’impact des usages informatiques sur l’environnement. Toute stratégie numérique doit ainsi être pensée en tenant compte des défis écologiques que nous avons à relever.
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