Évolution de l’aide alimentaire : le pari du local solidaire ?

Fidèle à l'adage "l'expérience fonde l'action", Le Réseau Cocagne a invité, le 13 novembre, les acteurs de l'aide alimentaire et de l'insertion par l'activité économique, au Jardin de Cocagne Maïa et Charentes, qui a la double affiliation Réseau Cocagne et Croix Rouge Insertion.

Quand les politiques publiques prennent le temps de l’analyse et de l’échange avec les acteurs de terrain, il est possible de co-construire des actions d’intérêt général avec l’ambition de transformer. C’est ce que l’on observe avec le programme « Mieux Manger Pour Tous » du Ministère Santé, Solidarités, qui a émergé des débats posés dans le cadre du COCOLUPA (comité interministériel de lutte contre la précarité alimentaire). Relevant le défi, le Réseau Cocagne a immédiatement lancé des actions de terrain, à travers le déploiement de son programme Paniers Solidaires, mais aussi en initiant des coopérations avec les acteurs de l’aide alimentaire. Ces initiatives de co-construction de politiques publiques ont été renforcées par le soutien de plusieurs fondations engagées avec nous dans les filières bio solidaires de l’aide alimentaire (Fondation du Crédit Mutuel Alliance Fédérale, Fondation Carrefour et Fondation pour un monde nouveau).

A l’échelle locale, le Département de la Charente a fortement développé une politique d’insertion et de relocalisation de l’agriculture biologique dans son Projet Alimentaire Territorial (PAT). Cette impulsion a conduit à un important maillage territorial des Structures de l’Insertion par l’Activité Économique (SIAE) agroalimentaires que l’on ne retrouve nulle part ailleurs : Jardins de Cocagne, Croix Rouge Insertion, Restos du Cœur Insertion, Banque Alimentaire Insertion et Régie de quartier Insertion sont rassemblés sur le territoire.

Que nous apprennent ces expériences de terrain ? Cette rencontre a permis de faire le point.

“Ce n’est pas parce qu’on est dans la panade qu’on doit manger de la merde.”

Des dons qui diminuent, des bénévoles qui s’épuisent, des files d’attente qui augmentent, l’inflation et donc la hausse des coûts et malgré tout, une prise de conscience : les personnes en précarité doivent avoir le droit à une alimentation saine et les producteurs doivent pouvoir vivre de leur métier. Le modèle actuel de l’aide alimentaire est sous tension. Dans ce contexte, le programme Mieux Manger Pour Tous a amené de l’oxygène. Il nous oblige aussi. « Montrons, via cette expérimentation, tout l’intérêt d’améliorer l’approvisionnement de l’aide alimentaire » lance Flavien Guittard, directeur de Maïa & Charente. Ce Jardin de Cocagne affilié à la Croix Rouge Insertion avait déjà développé une plateforme logistique en insertion : pour gérer les dons en nature de la Croix Rouge Française, pour le tri des invendus de grandes marques du textile, pour le réemploi du linge d’hôtellerie, pour la collecte de biodéchets qui seront ensuite compostés. Quinze salariés en parcours d’insertion et deux encadrants travaillent sur cette activité logistique. 600 palettes en moyenne sont stockées par an dans l’entrepôt.

Alors pourquoi ne pas se baser sur cet espace et cette expertise du tri, conditionnement et livraison pour approvisionner favoriser la circulation des produits alimentaires bio ? D’autant que le Jardin de Cocagne Maïa et Charente produit déjà 25 tonnes de fruits et légumes bio par an. Doté d’une chambre froide, le projet est lancé : avec 40 producteurs bio partenaires, la plateforme logistique approvisionne l’aide alimentaire (80 % des débouchés) et la restauration collective (20 % des débouchés) en produits frais, bio locaux.

« Le système basé sur les dons des grandes surfaces, permis par la loi Garot (2016), s’essouffle : les supermarchés gèrent mieux leurs stocks, réduisant ainsi leurs invendus. Les denrées restantes, souvent ultra-transformées, ne répondent pas aux besoins nutritionnels des bénéficiaires. Pouvoir se tourner vers des plateformes qui peuvent nous fournir des précieux fruits et légumes locaux et en plus bio, c’est formidable. Le bio, les gens passent devant le rayon en considérant que ce n’est pas pour eux. Cette expérimentation est une chance. », réagit Frédéric Sabourin, directeur de l’épicerie solidaire E.I.D.E.R.

Qui plus est, ces expériences de terrain donnent un nouveau souffle à une filière alimentaire qui a besoin d’être soutenue. « D’un côté, on voyait des maraîchers surchargés (70 heures/semaine) et, de l’autre côté, des bénévoles à bout de souffle. Face à ça, on s’est dit que le Jardin de Cocagne avait son rôle à jouer pour faire se rapprocher ces deux mondes. » explique Sébastien Jouen, directeur de l’association Pousses d’Avenir à l’initiative de CASAC (Collectif des Acteurs de la Solidarité Alimentaire du Chablais) qui réunit 7 structures de l’aide alimentaire et 6 maraîchers.

« Il ne faut pas que nos projets restent des expériences de laboratoire. »

Aujourd’hui, les fonds publics permettent de financer l’achat de légumes bio locaux sans négocier le prix aux producteurs, ainsi que l’animation de la coopération entre les acteurs et l’organisation de la logistique. Car « la coopération prend du temps et nécessite acculturation et confiance. » témoigne Amélie Charvériat, coordinatrice de Territoires à Vivres – Grand Lyon. « La question de la pérennité des financements publics reste critique pour mailler efficacement l’approvisionnement et soutenir les filières à long terme. » Comme le constate Charlotte Guiffard, Directrice de Croix Rouge Inclusion, « Le programme Mieux Manger Pour Tous joue le rôle de catalyseur pour embarquer tous les acteurs dans la même histoire. On croit beaucoup à la vertueuseté de cette chaine de valeur qui intègre tous les acteurs de la fourche à la fourchette, mais il faut que l’on trouve des moyens de faciliter cette coopération. » 

En réalité, les moyens existent comme le montre l’étude « 𝗟’𝗶𝗻𝗷𝘂𝘀𝘁𝗲 𝗽𝗿𝗶𝘅 𝗱𝗲 𝗻𝗼𝘁𝗿𝗲 𝗮𝗹𝗶𝗺𝗲𝗻𝘁𝗮𝘁𝗶𝗼𝗻 » lancée par le Secours Catholique-Caritas France, Solidarité Paysans, la Fédération Française des Diabétiques et le réseau CIVAM qui a estimé à 19 milliards d’euros les coûts pour compenser les conséquences de notre système agro-industriel (sur la santé, la biodiversité et pour soutenir les producteurs qui ne vivent pas de leur métier), sans compter les 48 milliards injectés pour maintenir le système alimentaire actuel (sur la seule année 2021). « Aujourd’hui, la défiscalisation coûte à l’état 500 millions d’euros par an pour approvisionner l’aide alimentaire avec des légumes des GMS en très fin de vie, des yaourts ayant atteint la DLUO et des produits ultra transformés. Peut-être qu’on pourrait utiliser cet argent ailleurs. » Finalement les 100 millions d »euros du programme Mieux Manger Pour Tous sont un goutte d’eau comparés à ces budgets.

« Notre modèle économique, c’est la redistribution » conclue Julien Adda, directeur du Réseau Cocagne. Une redistribution dont il reste à trouver un cadre pérenne et démocratique comme l’expérimentent certains territoires avec des caisses alimentaires communes ou la mise en place d’une sécurité sociale de l’alimentation (à l’image du conseil départemental de Charente). Car l’ambition est bien de changer les choses dès maintenant pour répondre à l’urgence, mais surtout de transformer le système en profondeur pour :

  • des fermes biologiques consolidées par la solidarité avec les mangeurs,
  • de l’entre-aide entre des producteurs et des services techniques (logistiques…) en insertion basés sur la non lucrativité,
  • des personnes soutenues par les structures en insertion dans leur retour vers un emploi non délocalisable et valorisant,
  • une consommation alimentaire saine et durable choisie par une population éclairée et des espaces de convivialité et d’échanges autour de l’alimentation.

Car au delà de notre santé, l’alimentation est un vecteur d’intégration et de cohésion sociale !

A lire aussi sur la même thématique :